

Mécanique,
Électrique,
Magnétique...
Musique électrique.
L'origine technique, c'est l'électricité. Avant les premiers instruments "électroniques", on invente d'abord des instruments électro-acoustiques, dont les sons restent produits de façon mécanique (comme pour les instruments acoustiques traditionnels) puis sont captés par des micros, convertis en signal électrique, amplifiés et reproduits physiquement par des hauts-parleurs.
Ils permettent d'abord d'augmenter le volume du son, par rapport à un instrument acoustique, et également de transporter le son pour le diffuser largement, le plus loin possible de la source, à des auditeurs éloignés les uns des autres. Les inventions musicales se mêlent aux inventions de nouveaux moyens de communication.
Elisha Gray, ou Taddeus Cahill par exemple, travaillent à la fois sur de nouveaux instruments de musique et des techniques de diffusion du son sur de longues distances, ce qui aboutira au téléphone et à la radio. Apparaissent en même temps les techniques d'enregistrement du son sur bande magnétiques (magnétophone).
On est à la fin du XIXeme siècle, au cœur de l'ère industrielle, et à la veille des guerres mondiales.
Le "Piano orchestre électro-moteur" de Johann Baptist Schalkenbach, brevet déposé en 1861.


Le radio - télégraphe
de Guglielmo Marconi,
en 1897.
Le perfectionnement des instruments électro-acoustiques aboutira aux pianos, aux orgues et aux guitares électriques. On se rend compte immédiatement que la transformation du son acoustique en signal électrique modifie sa nature, et parallèlement à la recherche d'une meilleure "fidélité" du son reproduit, sa modification électrique devient par elle-même un but recherché, pour obtenir des sonorités nouvelles.
La prochaine étape, logiquement, c'est la création d'instruments produisant directement des sons à partir de composants électroniques (oscillateurs, amplificateurs, etc.).
Les "synthétiseurs" vont se développer et se perfectionner progressivement tout au long du XXème siècle. Parmi les instruments commercialisés, on peut citer le Theremin (1917), l'Onde Martenot (1928), le Novachord (1939), et le Clavioline (1947).
Jusqu'ici ces instruments sont fortement inspirés par leurs ancêtres acoustiques (principalement le piano, ou le violon pour le Theremin), et les musiciens qui s'en emparent ne cherchent pas forcément à s'écarter des traditions musicales. Il y a un côté démonstratif suscité par ces machines aux sonorités parfois étranges et aux capacités multiples, mais pas encore une véritable nouvelle de façon de composer de la musique.
La nouveauté qui va véritablement marquer en profondeur l'évolution future de la musique électronique viendra d'abord des techniques d'enregistrement sur bandes magnétiques. Daphne Oram, une femme dans cet univers technique très masculin (dont l'histoire a certainement "oublié" les contributions de nombreuses autres femmes), est probablement une des premières artistes à prendre au sérieux le potentiel musical des magnétophones, et à véritablement créer une nouvelle forme de musique.
Elle travaille à la BBC et a accès aux premiers magnétophones. Elle invente une technique de manipulation des bandes magnétiques en dessinant par dessus pour modifier le son, et fabrique ses propres instruments. En 1948, au même moment où, en France, Pierre Schaeffer théorise et commence à expérimenter ce qu'il appelle la "musique concrète", elle crée la pièce Still Point, pensée pour être jouée par un "double" orchestre, un orchestre acoustique classique et un second "orchestre" composé d'elle-même jouant avec ses machines.
La musique concrète théorise de façon très intellectuelle une sorte d'abstraction musicale, dont le mouvement semble avoir pris naissance lors des premières conversions électriques de sons. Schaeffer appelle "acousmatique" un dispositif qui induit la perception de sons dont la source est cachée à l'auditeur. Il cherche a redéfinir l'expérience musicale à partir d'une approche matérielle (la pure perception des sons) détachée des théories "classiques" de la musique. Il crée le GRM en 1958, un laboratoire de recherches musicales.
Le travail sur les enregistrements de sons, leur manipulation, et leur diffusion dans un "espace sonore" est au coeur de la musique concrète. A partir des années 50 de nombreux compositeurs, comme Pierre Henry, vont épouser ce mouvement artistique.
Dans les années 60 le courant de la musique minimaliste (John Cage, Steve Reich, Philip Glass, La Monte Young, Terry Riley, etc.) hérite naturellement de ces explorations sonores, en se focalisant sur la répétition hypnotique de motifs sonores et rythmiques évoluant doucement.
A la fin des années 60 et pendant les années 70 l'utilisation de synthétiseurs devient plus fréquente dans la musique populaire. Des groupes de rock comme les Beatles ou Pink Floyd les incorporent largement dans leurs compositions. A la même époque en Jamaïque naît le Dub, un mouvement issu du Reggae qui fait un usage intensif de la manipulation des bandes magnétiques en les recoupant et en y ajoutant des effets sonores (réverbération, et delay notamment).
Les premiers DJs Hip Hop s'inspirent de ces techniques pour isoler les boucles rythmiques de morceaux de Funk et créer de nouvelles bandes sons sur lesquelles les rappeurs et rappeuses n'ont plus qu'a poser leur voix. Les beatmakers qui iront plus loin utiliseront massivement les "samples", ces petits bouts d'enregistrements sonores découpés et recollés entre eux pour créer de nouvelles compositions, comme le faisaient Daphne Oram et les compositeurs de musique concrète.
En Allemagne le mouvement du Krautrock, avec des groupes comme Tangerine Dream, Can, Neu!, Ash Ra Temple et Kraftwerk développent une esthétique futuriste, minimaliste et progressive, en plaçant les synthétiseurs sur le devant de la scène. Cette musique a la fois dansante et introspective marquera les débuts de la musique électronique populaire, parallèment au glissement progressif du Disco vers l'Italo Disco et la House ou du Pop Rock vers la New Wave. La Techno, l'Acid House, et la Trance héritent de ces tonalités.


Publicité pour le synthétiseur
Novachord,
en 1939.
Daphne Oram et son instrument, mettant en pratique sa technique "Oramics" de transformation et création de sons.

Espace de diffusion musicale aux sources sonores multiples, ou "acousmonium", au GRM.

Kraftwerk
Pour creuser un peu..
Le site internet assez fourni 120 Years of Electronic Music, avec ses articles documentés sur de nombreux instruments de musique électronique entre 1800 et 2019.
Le documentaire Sisters with Transistors réalisé par Lisa Rovner, qui met en lumière les contributions de plusieurs pionnières oubliées dans l'histoire de la musique éléctronique, comme Clara Rockmore, Daphne Oram, Bebe Barron, Delia Derbyshire, Pauline Oliveros, Wendy Carlos, Eliane Radigue ou Suzanne Ciani.
Un podcast de France Culture sur l'histoire musicale du GRM.
Un podcast de France Musique sur l'histoire de la boucle sonore au GRM.