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                 Contre-cultures communautaires et appropriation
culturelle

                    A Memphis et Detroit, à la fin des années 50, les deux labels les plus influents dans l'histoire de la musique Soul voient le jour, Stax Records et Motown Records. Si on a pu distinguer leurs styles, ils se rejoignent clairement sur un point : la volonté de vendre des disques de "black music".

L'industrie du disque appelle encore ça "race music", les succès des disques de Rhythm and Blues sont classés par le magazine Billboard dans une catégorie à part, le "Race Music Chart". Se mèlent ici loi du marché et traditions ségrégationnistes. La majorité des américains qui achètent des disques sont blancs, mais le mouvement des droits civiques a un impact important sur la société américaine, et les fondateurs de Stax et Motown Records vivent avec leur temps.

 

 

 

 

 

 

 

Le combat politique se joue aussi sur le terrain culturel et économique. On veut que les blancs entendent et achètent les disques d'artistes noirs. On veut que les artistes noirs ne soient plus toujours produits par des dirigeants de labels et de maison de disque blancs.

La musique Soul marque les années 60. La Motown est une véritable usine à tubes. La "black music" américaine commence à avoir une large influence internationale. Stax records, qui connait un succès moins retentissant, se tourne vers une production moins mainstream. Au milieu des années 60 la Soul a accouché d'un rejeton plus évolué musicalement : le Funk. On ralenti légèrement le tempo, on ajoute des percussions et des parties rythmiques instrumentales enchevêtrées, appuyées par un temps fort, pour aboutir sur une musique à la fois très dansante et hypnotique. Moins commercial que la Soul de la Motown, le Funk touche d'abord un public noir.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malgré les victoires institutionnelles du mouvement des droits civique les conditions de vie de la population noire américaine restent très dures. En 1965 éclatent les émeutes de Watts à Los Angeles, qui seront suivies d'environ 300 émeutes dans différentes villes du pays, entre 1965 et 1968. Le 4 avril 1968 Martin Luther King est assassiné à Memphis.

 

En 1972 Stax Records organise le concert caritatif "Wattstax" à Los Angeles, qui réunit un public de plus de 100 000 personnes, majoritairement noires, qui ont payé 1 dollar leur place. La "black music" apparaît ici clairement comme une contre-culture porteuse du message du Black Power.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Léger retour en arrière. En 1969 une autre communauté se révolte et déclenche des émeutes, dans le quartier de Greenwitch Village à New York : la communauté homosexuelle. Suite à une énième descente de police au Stonewall Inn. Un "juice bar", bar sans licence de vente d'alcool fréquenté par une  population gay, drag et trans assez pauvre. C'est dans ce genre de bar qu'on voit apparaître les DJs qui vont progressivement populariser un nouveau style de musique dérivé de la Soul, du Funk, et marqué par l'influence du label Philadelphia International Records : le Disco.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Venu du fond de l'underground, d'un obscur bar clandestin gay noir dont plus personne ne se souvient du nom, le Disco est nourri par la volonté de mixité sociale et culturelle de certains organisateurs de soirées comme David Mancuso, par l'intérêt de nombreux DJs et producteurs blancs, italo-américains ou latinos pour la musique noire, par le mariage de rythmes traditionnels africains, latinos, cubains, avec les nouvelles sonorités électroniques des synthétiseurs et des boites à rythmes. C'est sans doute ce mélange d'influences qui va lui permettre, autour de 1975, de submerger en quelques mois tous les hits parade. La Motown lui a préparé la route, les oreilles du public blanc sont prêtes.

 

Le 16 decembre 1977 le grand public américain découvre sur les écrans de cinéma le film Saturday Night Fever, avec John Travolta dans le rôle principal. Il incarne Tony Manero, un jeune italo-americain issu de la classe ouvrière de Brooklyn, qui écume les dancefloors des nightclubs  avec ses potes. 

Le film participera a la popularité du disco. Il met en avant des personnages blancs et hétéros, ainsi qu'une bande son principalement composée de morceaux des Bee Gees, un groupe Pop australien blanc qui épouse le style disco dans ces années la. Il présente donc une version édulcorée du Disco, un peu éloignée de ses origines sociales. Son scenario est inspiré par un reportage de l'écrivain britannique Nick Cohn, qui reconnaitra plus tard qu'au moment de sa rédaction il n'avait aucune connaissance de la culture Disco. La production de ce film est sans doute symptômatique de ce qu'on appelera plus tard l'appropriation culturelle.

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Ça y est, tout le monde peut faire de l'argent avec le Disco. Ou avec le Reggae. Tant pis pour le message, tant pis pour la qualité musicale. De nombreux groupes Pop ou Rock blancs, comme ABBA, surfent sur la vague Disco. Et c'est malheureusement ce Disco blanc commercial et sans âme qui restera longtemps dans la mémoire du grand public, en particulier en Europe.

Le 2 juillet 1979, dans un stade de baseball a Chicago, une ville très pauvre où les tensions raciales sont particulièrement fortes, est organisée la 'Disco Demolition Night'. Sorte d'autodafé anti-disco, qui sous couvert d'une critique des aspects commerciaux du Disco montre le visage raciste, homophobe et sexiste d'une partie de l'Amérique. Ils sont blancs. Eux aussi ont payé 1 dollar leur place. Pour venir en nombre bruler des disques... d'artistes noirs. L'homme blanc dominant a peur de perdre sa "virilité", son pouvoir et ses privilèges, face aux mouvements d'émancipation des noirs, des homosexuels, mais aussi des femmes, qui sont de loin bien plus visibles parmi les artistes Disco que dans la culture Rock défendue par des blancs.
 

 

 

 

 

 

 

 


 

Ce que ne montre pas le film Saturday Night Fever en représentant des blancs dans des relations hétéro stéréotypées, et Travolta en danseur héroïque solitaire, sorte de cow-boy du dancefloor, c'est que quelque chose d'important se joue sur les pistes de dance des contre-cultures Funk et Disco. Quelque chose qui  révolutionne la musique dansante populaire. Jusqu'ici on danse en couple, ou de manière solitaire et démonstrative. Les mouvements d'émancipation noir et gay amènent un style de danse communautaire, le dancefloor entier se transforme en un organisme unifié et puissant, ou chacun.e fait corps avec le groupe. On ressent toujours cette force collective devant les murs de son des Free Party aujourd'hui, même si la danse collective y est moins dynamique.
 

 

 

 

 

 


 

 

Le phénomène disco commercial est stoppé dans son élan par le mouvement "disco sucks"... mais aussi par l'épidémie de SIDA qui fait des ravages dans la communauté gay au début des années 80. La dance music retourne à nouveau dans l'underground, et la House va bientôt naître à Chicago, dans les cendres du brasier.


Les luttes sont longues, faites de petites avancées et de mouvements de recul écrasants. Musicalement, certains diront que le retour dans l'underground, pour quelques années, du Disco, de la House et de la Techno, ont été bénéfiques à leur évolution.

Sans doute.

 

 

 

 

 


Une vingtaine d'années plus tard, de l'autre côté de l'océan, un nouveau rejeton "hard" technoïde underground revendique son originalité et son indépendance face au bizness musical... devant un public majoritairement blanc et hétéro qui, inconscient de son héritage culturel, n'hésite pas à qualifier dédaigneusement la House Music de "musique de pédés". La contre-culture se mord la queue.

La contre-culture "tekno" des Free Party est à la fois l'héritière de cette histoire sociale et politique, mais aussi le produit de l'appropriation culturelle des contre-cultures par la culture de masse dominante, qui tend à la couper de ses racines. La Techno, cette musique futuriste sans message et sans image, est la cible parfaite de ce phénomène. Elle est aujourd'hui perçue comme une musique blanche et hétéro, c'est-à-dire produite par la classe dominante. Et de fait la majorité des artistes, DJs et fans de ce courant musical appartiennent aujourd'hui effectivement à cette classe dominante.

Les contre-cultures noires et queers tentent parfois de se réapproprier leurs histoires, mais se sont tournées depuis longtemps vers d'autres courants musicaux moins mainstream, ou plus facilement porteurs de messages.

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Berry Gordi
fondateur
de la Motown

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Betty Davis

Isaac Hayes
au Wattstax

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Des danseurs prennent la pose sur la terrasse du
Paradise Garage

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Les Bee Gees
au sommet de la gloire, épousant l'iconographie gay du Disco

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Gloria Gaynor

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Sylvester

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Franckie Knuckles  et Larry Levan

Pour creuser un peu..

 

* Le bouquin Mainstream - Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias de Frédéric Martel

* Un épisode de l'émission Affaires sensibles de France Culture, sur le concert Wattstax en 1972.

 

* Le documentaire Stonewall, la révolution gay  diffusé sur Arte.

* Un article de David Drake sur la "Disco Demolition Night".
 

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